Catastrophe aérienne. Dans la jungle du charter
jeudi 8 janvier 2004.
L’avion accidenté de Flash Airlines a eu sept propriétaires différents de quatre nationalités différentes. Il était affrété par des « consolidateurs » travaillant pour des tour-opérateurs. Pour le client, impossible de s’y retrouver.
La polémique sur la fiabilité de la compagnie charter égyptienne Flash Airlines se poursuit. En France, en Italie, en Pologne, les langues se délient avec les témoignages d’anciens passagers qui évoquent l’état inquiétant des appareils sur lesquels ils ont voyagé. Livré par Boeing le 22 octobre 1992, l’appareil 737-3Q8 qui s’est abîmé dans les eaux de la mer Rouge a eu une courte vie mais une longue histoire. Il aurait d’abord appartenu à la compagnie salvadorienne TACA International Airlines. En 1998, il aurait été racheté par Color Air, une compagnie charter norvégienne, qui disparaîtra un an plus tard. C’est alors une compagnie de location-vente étasunienne, ILC, qui l’acquiert, travaillant essentiellement pour des opérateurs de charters. Le Boeing 737 est ensuite acheté par une première compagnie égyptienne, Mediterranean Airlines, qui fera rapidement faillite. En 2000, il passera finalement aux mains de Flash Airlines.
Si l’on suit la piste des immatriculations successives de l’appareil, on constate qu’il est passé des États-Unis (N373TA) à la Grande-Bretagne (G-COLB), puis encore aux États-Unis (N221LF), pour partir vers l’Égypte avec deux immatriculations successives (SU-MBA et SU-ZCF). Cela peut surprendre, mais, selon Jean-Marc Fron, directeur de la communication à Boeing France, même si un appareil peut rester toute sa vie (estimée en moyenne à 20 à 25 ans) dans la même compagnie aérienne, il n’est pas rare qu’un avion passe par plusieurs propriétaires. « C’est à eux d’en assurer l’entretien et de faire passer les informations nécessaires à la compagnie qui le rachète. C’est ce suivi qui est important. Un acheteur sur le marché de l’occasion peut ensuite s’identifier auprès de nous. Dans ce cas, nous lui envoyons des recommandations de maintenance. Mais ce n’est pas obligatoire. »
Depuis la mise en service des premiers avions à réaction, Boeing a livré 14 000 appareils dans le monde et assure le service après-vente, la formation d’équipes de maintenance, la fourniture de pièces détachées, mais, explique Jean-Marc Fron, « après quelques années, une compagnie nationale a tout ce qu’il faut en interne et assure tout l’entretien. Un constructeur ne peut pas obliger une compagnie aérienne à entretenir un appareil. Il ne peut faire que des recommandations. Ce sont les organismes de gestion du trafic aérien, internationaux, régionaux et nationaux, comme la Direction générale de l’aviation civile (DGAC ), qui imposent les règles de maintenance ».
En Suisse, c’est l’Office fédéral de l’aviation civile (OFAC) qui se charge de veiller. L’inspection des avions de Flash Airlines, en avril 2002 puis en octobre 2002, avait révélé des défauts graves, notamment dans l’entretien des commandes et des moteurs des appareils. « Les deux appareils présentaient des lacunes similaires, a affirmé l’OFAC : absence de certains documents de navigation, défauts d’entretien manifestes dans les commandes, les moteurs et le train d’atterrissage, calcul des réserves de carburant ne respectant pas les normes internationales, signalisation des issues de secours défaillante. » À la suite de ces inspections, une interdiction d’atterrir avait été décrétée par la Suisse à l’encontre de la compagnie, décision notifiée immédiatement aux trente-trois pays faisant partie du programme européen de certification SAFA (évaluation de la sécurité des aéronefs étrangers), programme géré par la JAA (Joint Aviation Authorities).
Côté français, on se défend des accusations suisses. Le ministre des Transports, Gilles de Robien, puis des experts de la DGAC sont montés au créneau et ont expliqué que les trois contrôles menés à Toulouse, Lyon et Marseille sur Flash Airlines en 2003 n’avaient rien signalé d’alarmant et corroboraient un contrôle effectué en Pologne précédemment. Ils « étaient tout à fait corrects... et les deux derniers étaient quasiment parfaits et, je crois, même parfaits », a déclaré le ministre. La Pologne avait néanmoins, en 2002, jugé bon de retirer son autorisation à Flash Airlines, pour la lui redonner en 2003.
Michel Wachenheim, directeur général de la DGAC , a reconnu avoir reçu notification de ce contrôle, qui « ne faisait pas référence à l’état interne du moteur ni des commandes de pilotage ». Pour le directeur de la DGAC , la compagnie a opéré ensuite « de façon très claire une amélioration des appareils. Les deux avions ont été entièrement révisés ». C’est chez SNECMA Morocco Engine Services, une société franco-marocaine, que l’un des moteurs a été réparé « et remis en condition opérationnelle et livré à nouveau à Flash Airlines en janvier 2003 ».
Pour les compagnies charters et les « brookers » (ou « consolidateurs », intermédiaires peu nombreux en France, contrairement aux pays anglo-saxons), c’est la DGAC , et elle seule, qui a la responsabilité des contrôles de sécurité sur les avions. « Tous nos affrètements sont soumis aux autorisations de la DGAC », a affirmé Airmasters dans un communiqué, le brooker qui a affrété le vol fatal de Flash Airlines. La société ajoute que « chaque compagnie aérienne affrétée est soumise aux normes et règlements internationaux et doit obligatoirement détenir un AOC (certificat délivré par l’aviation civile de chaque pays) ».
Les compagnies charters sont aujourd’hui indispensables aux tour-opérateurs, qui font appel à leurs services pour certaines destinations ou faute de places sur des vols réguliers. Elles affirment qu’elles sont les plus sûres, les accidents aériens des cinq dernières années ayant eu lieu sur des compagnies régulières. Mais, selon les Suisses, à nombre égal de kilomètres parcourus, il y a quinze fois plus d’accidents du côté des compagnies charters. En France, les compagnies charters ont vu leur nombre se réduire et seuls 30 % des vols charters au départ ou à destination de la France sont effectués par des compagnies françaises ou filiales françaises.
En amont ont opéré les tour-opérateurs et les « brookers », comme Gestair, Airmasters et Air Partners. « Nous sommes des grossistes, explique François Malcuit, chef d’agence de Gestair, qui achètent des sièges d’avion auprès des compagnies aériennes pour les vendre à des tour-opérateurs. Je regroupe plusieurs demandes et je demande aux compagnies aériennes avec lesquelles je travaille de m’établir un plan de vol. Nous travaillons soit avec des compagnies nationales, comme Tunis Air et Royal Air Maroc, soit avec des compagnies françaises privées, comme Aigle Azur et Air Méditerranée, mais toujours les mêmes. » Entrent ensuite dans la ronde les tour-opérateurs qui « mettent, à côté des sièges, toute une production de séjours et de circuits et revendent le produit fini aux agences de voyages ».
Il y aura enfin le client, qui, dans la jungle des prix, des destinations et des compagnies, cherchera le meilleur prix pour partir en toute sécurité. Sans qu’il ait en main, loin s’en faut, toutes les données de la partie.
Voir en ligne : Sud aerien Corsair