Accueil > ACTU > Après les « Mc jobs », la « Wal-Martisation » de l’emploi

Après les « Mc jobs », la « Wal-Martisation » de l’emploi

dimanche 7 décembre 2003.

Wal-Mart, le distributeur américain devenu, en quelques années, la première entreprise du monde, fait l’objet de deux débats aux Etats-Unis. Le premier porte sur ses responsabilités dans le gonflement du gigantesque déficit commercial du pays. A chercher les produits les moins chers, Wal-Mart est de loin le premier importateur de produits chinois. Le second porte sur l’emploi.

McDonald’s symbolisait dans les années 1980 le développement des petits boulots précaires. Wal-Mart représente la pression permanente sur les salaires : ceux, directement, de ses 1,3 million d’employés, mais aussi ceux, indirectement, de ses nombreux fournisseurs. Implacable combattant des syndicats, licencieur en masse, employeur d’immigrés clandestins, destructeur des échelles internes de promotion, champion de la sous-traitance, Wal-Mart applique avec une tenace férocité les préceptes des « coupeurs de coûts ».

Avec le recul du temps, le brouillard se lève un peu sur les conséquences sociales du capitalisme financier qui s’impose à la planète, et il est possible de se dégager des idées toutes faites, libérales (tout va bien) ou antilibérales (tout va mal).

Dans un remarquable petit texte - non publié - destiné au club de réflexion A gauche, en Europe, de Dominique Strauss-Kahn, Jean Bensaïd, Daniel Cohen, Eric Maurin et Olivier Mongin en tracent les contours. On retient trois de ces conséquences.

LE CLIENT REMPLACE LE PATRON

La première concerne « l’individualisation des contraintes ». Elle est désormais bien connue : pour les employés comme pour les ouvriers, « le rapport à la clientèle se substitue au rapport au patron ». Les sociétés de service ou des univers artisanaux remplacent les grands ateliers de l’industrie lourde. Le salarié est soumis au stress de devoir personnellement veiller aux délais et aux normes. « Plus fragile, plus isolée, la condition du salariat contemporain s’éloigne ainsi peu à peu de la condition d’unité élémentaire de main-d’œuvre pour se rapprocher de la condition de personne à part entière, avec les avantages et les vicissitudes correspondants. »

DÉTERMINISMES

Deuxième caractéristique : le bas de l’échelle côtoie l’exclusion sociale. Différentes sous-populations, par différentes causes, sont prisonnières de leur situation. L’une de ces grilles d’enfermement est les territoires : naître en banlieue difficile est déterminant pour l’accès à l’emploi. L’autre est sociale : avec le travail des femmes on voit apparaître « une polarisation » entre des couples bi-actifs mais aussi des zéro-actifs, doublement pauvres.

La réponse des autorités a été d’abaisser le coût du travail pour créer des emplois à destination des personnes peu qualifiées. Avec une différence. Aux Etats-Unis, les salaires ont glissé vers le bas. En Europe, la réaction a été de maintenir les salaires minimums (smic) et même de les relever, mais de subventionner les employeurs. Grâce à cette stratégie, mise en place sous le gouvernement Balladur puis poursuivie ensuite, la France a créé trois millions d’emplois entre 1997 et 2001, plus qu’au cours des vingt-cinq années précédentes.

L’intérim, le temps partiel, les CDD sont vivement dénoncés pour fabriquer des « travailleurs pauvres ». Le triste sort des « Mc   jobs », craint-on, est prémonitoire d’une dégradation générale. En réponse, les gouvernements plaident que c’est le prix à payer pour la diminution du chômage. Mieux vaut McDonald’s que l’ANPE !

PETITS BOULOTS PÉRENNES

La formidable croissance des années 1990 change les termes du débat. Car le chômage, en constante réduction, a fini par disparaître vers 1997 aux Etats-Unis. Dès lors, le mécanisme de l’offre et de la demande joue à l’envers des deux décennies précédentes et les salaires remontent un peu, puis plus vite, puis rapidement. Les libéraux sont soulagés : lorsque la marée monte, tous les bateaux du port s’élèvent, les youyous comme les yachts. Les Mc   jobs se pérennisent, les CDD deviennent CDI. Au bout d’un temps, même les familles les pauvres ont vu leur situation s’améliorer. Le processus de remontée hisse progressivement tous les barreaux de l’échelle sociale les uns après les autres : le nombre des RMIstes commence (tout juste) à diminuer en 2001 en France.

Fin du débat ? Non. On découvre que, même durant la belle phase de croissance forte, la machine de promotion sociale s’est brisée de l’intérieur.

Wal-Mart n’est pas la seule entreprise à avoir bloqué les ascenseurs internes pour la majorité de ses employés. Les firmes réservent aux seuls managers, ou aux seuls « meilleurs », la construction de carrières internes. Résultat : la grande majorité des salariés gagne un peu plus quand l’économie va bien, mais conserve le même poste.

La mobilité interclasses sociales, du coup, se ralentit. Quelque 40 % des familles sont restées dans le même quantile de revenus au cours des années 1990, contre 36 % dans les années 1970, ont calculé les auteurs du livre Low-Wage America (fruit d’une étude académique qui regroupe 38 centres de recherches, Russel Sage Foundation Ed.). Commencer livreur, finir dirigeant faisait partie du rêve américain. Il s’évanouit. C’est le grand paradoxe du capitalisme financier : il pousse l’économie vers toujours plus de souplesse et d’ouverture, mais il accouche d’un social stratifié.

REPRODUCTION SOCIALE

La seule et unique clé de promotion devient, des deux côtés de l’Atlantique, le diplôme. Dans ce domaine, c’est l’Amérique qui se rapproche de la France, où le parchemin prédétermine, depuis toujours, la carrière.

Mais l’éducation coûte, partout, beaucoup. Et le prix des études supérieures renforce considérablement la rigidification des classes sociales. En 1970, aux Etats-Unis, 23 % des enfants du quart inférieur des revenus parvenaient à se hisser dans le quart supérieur. Ce pourcentage est tombé à 10 %. Fils de livreur tu es, livreur tu seras. Voilà pourquoi le vrai grand débat social doit porter sur l’université.

Chronique de l’économie par Eric Le Boucher

Voir en ligne : Le Monde

aller en haut de page

breves

Il n’y a pas de brève à cette adresse

Articles les plus récents
Dans la même rubrique

ACTU
Pas d'autres articles dans la rubrique ACTU
Mots-clés

SPIP | Copyright © 2002 - 2012 SUD Aérien.org | Conception et habillage snoopit31

Mentions légales| squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0