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La longue agonie du comité d’entreprise d’Air France

jeudi 7 février 2013.

Dans les Echos du 6 février 2013, Massimo Prandi consacre un long article à expliquer pourquoi le CCE d’AF en arrive à cette situation dramatique.
Sur fond de guerre syndicale et d’erreurs de gestion, le troisième CE le plus riche de France s’enfonce depuis dix ans dans la crise. Mis sous sauvegarde judiciaire mardi, l’organisme n’est même plus en mesure de financer son plan de départs volontaires. Retour sur un naufrage collectif.

Les caisses sont vides. Ou sur le point de l’être. Conclusion prévisible d’une longue dérive financière, le tribunal de grande instance de Bobigny a accepté mardi soir la mise sous sauvegarde du comité central d’entreprise (CCE) d’Air France, au bord de la cessation de paiements. La demande en avait été faite jeudi dernier par son secrétaire général, Didier Fauverte (CGT), pour protéger l’instance de ses créanciers. Désormais, la direction du CCE devra donc cogérer l’organisme avec un administrateur judiciaire qui n’est autre que Philippe Bleriot, le mandataire désigné en 2011 par le même tribunal pour sauver ce qui pouvait l’être.

 Aucune poursuite judiciaire

La longue agonie du CCE d’Air France est l’histoire d’un naufrage collectif. Celui des différentes organisations syndicales qui, depuis une dizaine d’années, se sont succédé pour assurer la gestion du troisième comité d’entreprise le plus riche de France, derrière celui des électriciens-gaziers et celui de France Télécom. Sur fond de guerre syndicale, d’accusations de fraudes et d’erreurs manifestes de gestion, aucune des équipes dirigeantes, qu’elles soient issues de la CFDT   ou de la CGT, comme c’est le cas depuis près de deux ans, n’est parvenue à enrayer la spirale infernale. Résultat, malgré un budget supérieur à 90 millions d’euros (dont environ 35 millions versés chaque année par la direction d’Air France), l’organisme est criblé de dettes et ne peut plus faire face à ses engagements.

Dès 2005, un premier audit avait pointé des écarts de gestion. Cinq ans plus tard, un nouveau rapport du cabinet INA s’inquiète de la situation financière du CCE : en dépit du soutien indéfectible de l’entreprise, la trésorerie de l’organisme social est systématiquement déficitaire dès le troisième trimestre de chaque année. Facteur aggravant : le même rapport évoque un certain nombre de « dysfonctionnements » : logements de fonction indûment attribués, achats par Carte Bleue, documents comptables détruits... L’affaire attire l’attention de la brigade financière, qui perquisitionne des locaux et enchaîne les auditions. On évoque alors l’achat d’une trentaine d’ordinateurs portables dont personne ne retrouve la trace ainsi que la location de voitures de luxe (Chevrolet, Mercedes...), alors que le comité d’entreprise dispose de sa propre flotte de véhicules... Des « dérapages » qui n’ont donné lieu, à ce jour, à aucune poursuite judiciaire ou mise en cause formelle. Mais qui ont contribué à alourdir un peu plus l’atmosphère au sein du CCE.

Car, dès lors, chacun se renvoie la responsabilité de la débâcle. En 2009 -la CFDT   était alors aux commandes -, le comité d’entreprise d’Air France affichait déjà une perte de 11,6 millions d’euros. Chargé, l’année suivante, de revoir l’ensemble des pratiques comptables du CCE, le cabinet Mazars constate « une absence de pilotage d’ensemble de la partie financière ». Et, en 2011, le mandataire nommé par le tribunal de Bobigny calcule que le CCE doit récupérer au plus vite 20,5 millions d’euros pour poursuivre ses activités.

 « Le modèle actuel a vécu »

Face à l’urgence de la situation, l’équipe dirigeante s’est résolue à lancer un plan de départs volontaires, visant à ramener les effectifs de 265 à 175 salariés. Sur le papier, les 90 volontaires étaient censés partir à la fin février. Problème : seuls 71 salariés se sont manifestés et, même dans ces conditions, il s’avère que le CCE n’a plus les moyens de financer sa restructuration... C’est cette impasse qui a conduit son secrétaire général à demander la mise sous sauvegarde du comité d’entreprise.

« Le modèle actuel de comité central d’entreprise a vécu à Air France », tranche Michel Salomon, secrétaire adjoint du syndicat CFDT   Air France). Au Dôme de Roissy, dans les locaux du CCE, l’ambiance est électrique, comme en témoignent des pancartes rageuses accusant les syndicats maison d’être « pire que le Medef   »... Pour la CGT, le comité central d’entreprise serait en réalité victime « d’une tentative d’assassinat » par « trois coupables et un complice  ». Les coupables désignés sont «  la CGC, la CFDT   et l’alliance PN (SNPL  , SNPNC   et Unsa  ) » ; le complice, lui, serait le comité d’entreprise opérations aériennes (CEOA), élu par les personnels navigants (pilotes, stewards...). Une instance qui a pris son autonomie fin 2002, et dont la sécession a sérieusement compliqué l’équation financière du CCE d’Air France.

Car, depuis lors, cet organisme prélève directement sa subvention auprès de la direction (36 millions d’euros en 2012, plus 7 millions d’euros pour les cantines). A lui seul, il touche désormais autant que le CCE et les sept autres CE réunis (personnel au sol, du siège etc.). A l’origine de cette scission, déjà, la mauvaise gestion du comité central d’entreprise... Il y a dix ans, c’est elle qui a conduit le comité d’entreprise des personnels navigants à couper le cordon. La séparation a provoqué un traumatisme dans les milieux syndicaux d’Air France et nourrit, depuis, un ressentiment qui n’a fait que s’accentuer avec les difficultés financières du comité central.

Pilote de ligne et ancien secrétaire général du CCE, Jean-Yves Quinquenel rappelle que, s’il est le mieux doté des CE d’Air France, le CEOA dépense plus de 90 % de son budget pour les personnels (culture, voyages, colonies pour les jeunes et cantine). Une façon de souligner la faiblesse des frais de fonctionnement (de 2 à 3 % de l’enveloppe globale) et de sa masse salariale (5 %). « Tout le contraire du CCE, où un vingtième de ce qu’il perçoit aujourd’hui est consacré aux œuvres sociales des salariés d’Air France », enchaîne-t-il. Le reste serait englouti par les frais de fonctionnement, la masse salariale et les frais financiers, précise le représentant du SNPL   (Syndicat national des pilotes de ligne). A la différence près que « le CCE assume aussi les coûts d’entretien des actifs physiques  », tempère Philippe Bleriot, le mandataire, ce qui n’est pas le cas des autres comités d’entreprise maison.

 Vers des licenciements ?

Aujourd’hui, la CGT prétend toutefois que la situation s’est améliorée : l’objectif de baisse de 30 % de la masse salariale du CCE est presque atteint et le résultat est redevenu bénéficiaire (près de 4 millions d’euros, contre une perte de 4,8 millions d’euros). Mais la trésorerie est presque à sec et les frais financiers pèsent lourd sur les épaules de plus en plus fragiles du comité central. Outre le plan de départs volontaires -« un plan très généreux », note le mandataire -, le CCE a cherché l’an dernier à desserrer sa contrainte financière, en gageant un certain nombre d’actifs immobiliers, via une fiducie. L’opération lui a permis d’obtenir une ligne de crédit de 17 millions d’euros auprès de deux établissements bancaires : la BRED et BESV (Banque Espirito Santo et de la Vénétie). « Ce fut très difficile. Personne ne voulait donner de l’argent au CCE  », raconte Philippe Bleriot. Une première tranche de 12,5 millions d’euros a été prêtée par les deux banques après l’été. Mais « les deux tiers de cette somme ont déjà été consommés à la fin décembre », affirme Michel Salomon, de la CFDT  .

Dans ce contexte déjà tendu, un nouvel épisode de la guerre syndicale est venu compliquer la donne : voilà deux mois, les élus du CCE ont refusé par 8 voix contre 7 de valider la dernière tranche de la fiducie (4,5 millions d’euros de crédit). Une somme indispensable au redressement de l’organisme. Refus confirmé le 14 janvier dernier, au prétexte que l’objectif du plan de départs volontaires ne sera pas atteint. Plusieurs représentants des salariés redoutent que les biens gagés au prix fort -à ce jour, 34 millions d’euros d’actifs physiques ont été immobilisés, auxquels s’ajoute 1 million d’intérêts et de frais par an jusqu’en 2015 -ne suffisent pas « à redonner au CCE sa vocation de prestataire de vacances jeunes et familles ». Pis, si malgré cette injection de fonds, le CCE se retrouvait à nouveau dans le besoin d’emprunter, il ne pourrait plus compter que sur quelque 40 millions d’euros de collatéral : de quoi lever une vingtaine de millions, tout au plus...

« Cette hypothèse extrême n’est pas à l’ordre du jour, mais elle pourrait le devenir à plus long terme si les coûts structurels de fonctionnement du CCE ne baissaient pas au même rythme que la subvention d’Air France, or celle-ci va nécessairement diminuer du fait de la réduction de la masse salariale des personnels au sol », estime Michel Salomon. Lequel souligne l’anomalie expliquant en grande partie les problèmes actuels : entre 1997 et 2007, les effectifs du CCE sont passés de 184 à 308 salariés ; dans le même temps, ses ressources ont diminué de moitié. Dès lors, à l’instar de la CFDT   et de la CGC, certains voient difficilement comment le comité central d’entreprise pourrait échapper à des mesures plus radicales, avec sans doute à la clef des licenciements.

 Possible privation de ses fonctions sociales

Désormais sous sauvegarde, le CCE joue en tout cas son avenir. « Le comité central ne fera pas faillite. La loi l’interdit », avance Jean-Yves Quinquenel. « En revanche, l’activité des œuvres sociales du CCE pourrait en dernière instance être arrêtée par la justice pour cause de défaillance financière », complète-t-il. Le CCE n’assurerait plus, alors, que sa fonction de contrôle des comptes de l’entreprise, léguant aux différents CE d’Air France la totalité de ses fonctions sociales. Combattue par la CGT, FO et SUD-aérien, cette perspective pourrait se solder par la création d’un comité interétablissement des huit CE de la compagnie aérienne, uniquement chargé de coordonner les actions sociales communes. Mais, pour cela, il faudrait que l’on parvienne à un accord sur la représentation de chaque CE en son sein. Ce qui est loin d’être acquis, compte tenu des rivalités syndicales. Pierre Contesenne, de SUD-aérien, ne se fait guère d’illusion : « La bataille est perdue. Le CCE en tant qu’instance de production d’activité pour les salariés est mort.  »

Voir en ligne : Les Echos

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