Pourquoi le fisc se fait plumer par les multinationales
vendredi 21 octobre 2005.
La généralisation des politiques d’« optimisation fiscale » menées par les multinationales ne permet pas à la Direction générale des impôts (DGI ) d’anticiper avant la fin de l’année fiscale, ce que va pouvoir lui rapporter l’impôt sur les bénéfices des sociétés présentes en France. C’est pourtant la troisième recette du budget de l’Etat (42 milliards d’euros en 2005).
Libé du 20 octobre nous explique pourquoi.
Il s’agit d’un jeu très sophistiqué qui consiste à payer ses impôts aux endroits de la planète les plus avantageux. Pas besoin d’aller très loin. Pour une entreprise présente sur le sol français, il suffit par exemple de rapatrier ses bénéfices en Suisse, pour bénéficier d’un taux d’impôt sur les bénéfices de seulement 6 % environ. C’est pourquoi plusieurs multinationales ont eu la judicieuse idée d’installer leur direction européenne à Genève. Hewlett-Packard, bien sûr, mais aussi Colgate-Palmolive, General Motors, Gillette ou Procter & Gamble. Et quand EADS (maison mère d’Airbus) ou Air France-KLM cherchent où installer leur nouveau siège, ils partent aux Pays-Bas. Uniquement pour des raisons fiscales... Peu importe si l’Etat est un actionnaire important de ces deux groupes. Selon les calculs de la CFDT de Colgate-Palmolive, si ces pratiques se généralisaient à 80 % des multinationales présentes en France, au moins 32 milliards d’euros pourraient échapper aux caisses de l’Etat.
Que peut faire ce dernier ? « L’administration n’est pas assez armée pour contrôler une question aussi complexe que celle des transferts de bénéfices », explique Vincent Drezet, secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts. Sur le papier, Bercy dispose de deux armes. L’article 57 du code général des impôts permet de redresser les entreprises qui pousseraient le bouchon un peu loin. Chaque année, il réussit à récupérer environ 1 milliard d’euros, selon le Conseil national des impôts. L’autre levier est bien plus théorique : avec la notion d’« abus de droit », l’Etat pourrait interdire tout mécanisme ayant pour seul but de réaliser une économie d’impôts. Mais la définition est tellement floue que l’arme n’a jamais été dégainée.
La DGI a rédigé cette année une note proposant d’obliger les entreprises à déclarer au préalable tout mécanisme d’optimisation fiscale qu’elles mettent en place. Mais, face à un lobbying acharné, entre autres du Medef , Bercy n’a pas retenu la note dans son projet de loi de finances 2006. « La discussion se poursuit », dit-on au ministère. Reçu hier à Matignon, avec une délégation de syndicalistes CFDT de Colgate-Palmolive, le député UMP François-Michel Gonnot croit à une prise de conscience : « Cela fait trois ans que nous sommes reçus par des responsables gouvernementaux. Jusqu’à présent, on a été écoutés, sans plus. Cette fois-ci, on a été entendus. Matignon est prêt à soutenir la création d’une mission d’information parlementaire sur le sujet, si le diagnostic de Bercy ne fait pas consensus. »
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