Toutes les compagnies aériennes ne cherchent pas à se placer dans le cadre de grandes alliances : des compagnies de taille plus modeste développent au contraire une stratégie dite de « niche », en choisissant un segment particulier du marché peu ou mal exploité. Il peut s’agir de marchés régionaux (avec des avions de taille plus réduite), ou de vols à bas coûts (ou low costs).
Ce marché « low costs » vise les voyageurs « loisirs », peu disposés à payer un prix élevé pour voyager en Europe, qui désirent faire des séjours courts vers des destinations principalement urbaines. Au cours des dernières années, les compagnies low costs se sont largement développées en Europe, et sont à l’origine d’une partie importante de la croissance du trafic.
État des lieux : la « méthode Southwest »
La stratégie des compagnies à bas coûts s’appuie sur celle créée par la compagnie américaine Southwest, première compagnie à avoir développé ce type de vols aux Etats-Unis dans les années 70. Cette compagnie texane, créée en 1971, effectue, dès l’origine, des vols sur des distances moyennes (environ 860 km), entre San Antonio, Dallas et Houston.
Elle devient une compagnie « majeure » en 1990, avec un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard de dollars (5,6 milliards de dollars en 2001) et est, en 2002, la 4e compagnie américaine en termes de passagers domestiques (64 millions de passagers en 2001).(...)
Cette « méthode Southwest » a servi de base à la création, plus tardive, de ses consœurs européennes. L’objectif des compagnies à bas coûts est de réduire au maximum les coûts d’exploitation et de gestion, de façon à proposer des tarifs jusqu’à deux ou trois fois inférieurs à ceux des concurrents sur une même ligne.
La réalisation de cet objectif passe par une stratégie commerciale quasi identique pour toutes ces compagnies :
- Elles travaillent sur un marché bien précis : elles réalisent uniquement des dessertes « point à point », afin de ne pas avoir à traiter de passagers en correspondance et effectuent des vols de moins de trois heures, uniquement au sein de l’espace national ou européen.
Les recettes des low cost
- Elles utilisent en général des avions d’un seul modèle, le plus souvent Boeing 737-200 ou 300, éventuellement achetés d’occasion. Ces avions présentent en effet le plus faible coût à l’achat ou à la location, ainsi qu’un faible coût d’exploitation par siège.
- Elles ne disposent que d’une seule classe (contrairement aux avions multiclasses des compagnies classiques), ce qui réduit grandement les coûts d’exploitation.
- Elles atterrissent en général sur des aéroports secondaires, pour accélérer le temps moyen de rotation en évitant les encombrements, et pour payer des redevances aéroportuaires réduites.
- Elles simplifient au maximum les procédures d’embarquement et de débarquement (places non attribuées), encore une fois pour accélérer les rotations et réduire les besoins en personnel. Dans cette optique, elles commercialisent également les billets directement par téléphone, fax mais surtout Internet, et non par les systèmes informatisés de réservations (SIR) et les agences de voyage, plus coûteux. Les billets étant payés avant le voyage et non remboursables, les recettes sont certaines et rapides (pas de décalage entre recettes et dépenses).
- Afin d’obtenir une diminution de la masse salariale, elles emploient des personnels polyvalents, versent des salaires minimaux, mais introduisent une prime de productivité et un intéressement au capital de la société.
- Elles proposent un service très réduit à bord et des prestations payantes.
La clientèle d’« affaires » intéressée par les low cost
Grâce aux tarifs pratiqués, les compagnies à bas coûts attirent non seulement une partie de la demande existante mais elles créent une demande supplémentaire. Ainsi, la Direction générale de l’aviation civile estime que, sur Paris-Dublin, même en se posant à Beauvais (72 km de Paris), la compagnie Ryanair a contribué à augmenter de 30 % le trafic de la ligne.
Par ailleurs, si le lancement d’une liaison se fait essentiellement grâce à une clientèle ayant des capacités contributives faibles, capable de déterminer ses déplacements assez longtemps à l’avance, à partir d’un seuil de 2 à 3 fréquences par jour, la compagnie à bas coûts « récupère » une clientèle d’affaires, surtout si elle est implantée près des grands centres économiques, comme c’est le cas d’Easyjet à Orly et Roissy Charles-de-Gaulle.
En Europe, en juin 2002, les compagnies à bas coûts représentaient 8,65 % du trafic sur le marché intra-européen, soit 3 points de plus qu’en 2000. A titre de comparaison, les compagnies à bas coûts américaines représentent plus du quart du marché domestique américain en nombre de passagers transportés.
En France, le développement de ces compagnies est récent mais a été très rapide. Début mars 1996, Virgin Express ouvre une liaison sur Nice-Bruxelles. Depuis, d’autres compagnies sont venues la rejoindre, qui représentaient 5 millions de passagers en 2002 (12 % du trafic intra-communautaire français, 5 % du trafic français total) contre seulement 2,6 millions de passagers en 2001 (7 % du trafic intra-communautaire français, 2,7 % du trafic français total).
Cette part atteint 23,2 % en province contre 5,7 % pour les aéroports parisiens. Par contre, comme le rappelle une étude de la Direction des Transports Aériens du Ministère de l’Equipement présentant le bilan chiffré sur les quatre dernières années de leur présence en France, « elle n’est encore que de 3 % pour Orly et de Roissy Charles-de-Gaulle confondus car les compagnies s’y sont implantées plus récemment et de manière limitée ».
|
|
Passagers
|
Part
dans le total
|
||
|
|
2001
|
2002
|
2001
|
2002
|
France
|
Royaume-Uni
|
1
909 791
|
3
020 188
|
69,1
%
|
58,9%
|
dont
trafic de et vers Londres
|
1
641 369
|
2
453 046
|
59,4
%
|
47,8%
|
|
France
|
Suisse
|
192
636
|
442
120
|
7,0
%
|
8,6%
|
France
|
Irlande
|
255
487
|
341
860
|
9,2
%
|
6,7%
|
France
|
Pays-Bas
|
217
189
|
318
442
|
7,9
%
|
6,2%
|
France
|
Belgique
|
190
041
|
307
599
|
6,9
%
|
6,0%
|
France
|
France
|
98
|
282
947
|
0,0
%
|
5,5%
|
France
|
Allemagne
|
70
|
205
048
|
0,0
%
|
4,0%
|
France
|
Suède
|
0
|
174
341
|
0,0
%
|
3,4
%
|
France
|
Norvège
|
|
32
955
|
0,0
%
|
0,6
%
|
France
|
Italie
|
190
|
4
204
|
0,0
%
|
0,1 %
|
France
|
Espagne
|
0
|
171
|
0,0
%
|
0,0
%
|
|
Total
|
2
765 502
|
5
129 875
|
100,0
%
|
100,0 %
|
Source : Direction générale de l’aviation civile/SDEEP
Par ailleurs, comme le souligne l’étude, « bien qu’assez récemment implantées en France, les compagnies étrangères à bas-coûts sont présentes sur 28 aéroports français »,notamment de petits aéroports de province, comme Bergerac, Caen, Dijon, Rouen ou Tours, que ces compagnies contribuent souvent à revitaliser. Il s’agit d’une stratégie délibérée de la part des compagnies à bas coûts, notamment de Ryanair, du fait de la rareté des créneaux disponibles à Paris et du coût d’exploitation de liaisons au départ de ces aéroports.
Les compagnies établies en France sont aujourd’hui au nombre de 10 : Goodjet, Germanwings, bmibaby, My TravelLite et Ciao Fly, établies en 2002 et EasyJet, Ryanair, Buzz, Basiqair et Virgin Express, déjà établies en 2001. Le marché est malgré tout très concentré, puisque les deux principaux acteurs que sont EasyJet, et Ryanair détiennent 85 % du marché.
Cette étude confirme leur progression sur le marché français : « Alors que le trafic réalisé par ces compagnies avait déjà augmenté de 51 % en 2000 et de 44 % en 2001, il progresse de 85 % en 2002 par rapport à 2001 ».
« Une telle progression ne peut s’expliquer en économie de marché que par la rencontre d’une large demande potentielle et d’une forte augmentation de l’offre, avec naturellement à l’origine un produit attractif ».
En 2002, l’offre des compagnies à bas coûts s’est largement améliorée par le biais d’une augmentation du nombre de liaisons exploitées qui sont passées de 52 à 87 en 2002 (+67 %) et d’une augmentation du nombre de mouvements qui sont passés de 27 405 à 50 205 en 2002 (+ 83 %). En trois ans la progression est conséquente puisque le trafic a quadruplé (+ 299 %) depuis 1999.
Perspectives d’évolution : regroupements en perspective
Alors que la très vaste majorité des compagnies aériennes « majeures » a affiché des résultats négatifs lors de l’exercice 2001-2002, notamment à cause des attentats du 11 septembre, Ryanair, Easyjet et Virgin Express ont enregistré des résultats positifs et en forte hausse. Cette évolution positive et très rapide devrait se confirmer au cours des prochaines années, selon la Direction générale de l’aviation civile.
En effet, les projets de commande d’avions annoncés par ces compagnies tendent à montrer que celles-ci envisagent de se développer fortement en Europe : 100 commandes fermes et 50 options pour Ryanair, une commande ferme de 120 appareils pour Easyjet.
Mais les risques de pression à la baisse des prix ne sont pas exclus, si la création de nouvelles compagnies à bas coûts entraîne une surcapacité de l’offre. La concurrence entre low costs, et avec les charters, risque de s’accentuer, et l’on devrait assister à un certain nombre de regroupements, à l’exemple de Easyjet qui a racheté Go et Deutsch-BA en mai 2002, et de Ryanair qui a racheté Buzz en janvier 2003.
Pour autant, alors que les experts les plus optimistes estiment que le marché des compagnies à bas coûts (lignes européennes « point à point » de moins de trois heures) leur serait, à terme, complètement acquis, il apparaît plus raisonnable, selon les prévisions de la Direction générale de l’aviation civile et en s’appuyant sur l’exemple américain, d’évaluer à 20 % du marché intérieur européen la part des compagnies à bas coûts à l’horizon 2010.
Délocaliser le trafic des charters
Comme exposé précédemment, les compagnies low costs opèrent en grande partie au départ d’aéroports secondaires dont les redevances aéroportuaires sont plus réduites. De ce fait, elles représentent une opportunité de développement pour les plates-formes secondaires françaises, et offrent une perspective de desserrement du trafic aérien autour de la capitale.
S’agissant des vols charters, la problématique est comparable, dans la mesure où les clients utilisant ce type de service privilégient le prix du billet par rapport au temps de trajet. De plus, la tendance est à une croissance plus importante des vols charters au départ de province et à une régression des vols au départ de Paris.
La hausse des coûts d’exploitation sur les aéroports parisiens incitera très probablement dans le futur les compagnies charter à repenser leur développement. Il serait donc envisageable d’encourager la délocalisation de ces vols, qui représentent plus de 21 000 mouvements et 2,76 millions de passagers en 2002 à Roissy Charles-de-Gaulle, et près de 8 700 mouvements et 1,4 million de passagers à Orly.
Il faut favoriser leur délocalisation vers des plates-formes situées dans le grand bassin parisien. L’aérodrome de Beauvais-Tillé semble avoir les capacités requises pour accueillir ce type de trafic, dans la mesure où la compagnie Ryanair s’y est installée avec succès. En 2001, l’aérodrome a accueilli 4 366 mouvements commerciaux pour 43 864 mouvements non commerciaux. Il conviendrait peut-être également d’étudier les possibilités de reconversion à long terme de la plate-forme d’Évreux, aujourd’hui aéroport militaire.