Les insoumis de l’entreprise
mardi 17 février 2004.
Ils sont jeunes, précaires, mal payés… et donnent des cauchemars à leurs employeurs. Leurs actions médiatisées tranchent avec celles des syndicats traditionnels et les mettent en phase avec la mouvance altermondialiste. Feu de paille ou naissance d’un pôle contestataire ?...
Les méthodes de Latifa et de ses camarades, militants de SUD, de la CGT ou de la CNT, livreurs chez Pizza Hut, employés de McDonald’s ou d’Eurodisney, magasiniers chez Monoprix ou femmes de ménage dans des hôtels du groupe Accor, donnent des cauchemars à leurs employeurs. Spontanées, elles sont de la même veine que celles des intermittents du spectacle envahissant les plateaux de télévision pour prendre la parole en direct ou de José Bové piétinant des plantations de maïs transgénique, même si elles ne franchissent pas, elles, les limites de la loi.
Ces nouveaux contestataires ont bruyamment chahuté les pratiques syndicales traditionnelles depuis la fin des années 1980. Ils ont réussi à pénétrer dans des secteurs comme la restauration rapide, la grande distribution, le nettoyage ou les centres d’appels, dont les salariés sont souvent jeunes, étrangers ou enfants d’immigrés, précaires, mal payés et méprisés. D’année en année, ces empêcheurs d’exploiter en rond gagnent en notoriété, avec des actions ciblées qui suscitent la sympathie du grand public....
Mais j’ai vite compris qu’un article dans un journal ou quelques secondes au journal télévisé font cent fois plus de mal au patron que tous les tracts du monde. » Abdel vient de franchir un pas de plus vers la notoriété en publiant un livre, Génération précaire [1], dans lequel il raconte ses dix années de lutte chez Pizza Hut.
Si la CGT a du mal à s’habituer à ce genre de pratiques, SUD, en revanche, a fait de la communication l’une de ses marques de fabrique. Le nom de ce syndicat, Solidaire, unitaire, démocratique, claque comme un slogan. Sa signification compte moins que son pouvoir évocateur d’un avenir meilleur.
Les nouveaux contestataires ont appris à se servir d’une seconde arme terriblement efficace : les réseaux altermondialistes. Lorsqu’un conflit éclate quelque part, l’information circule très vite. Des comités de soutien se mettent en place. Les rebelles n’ont pas l’esprit de chapelle, ce qui démultiplie leur force. Une grève lancée par des élus SUD sera soutenue sans arrière-pensée par des camarades de la CGT, et vice versa, ainsi que par des militants d’Attac ou d’AC ! (Agir ensemble contre le chômage). Les mêmes sympathisants d’extrême gauche se retrouvent un jour au sommet altermondialiste de Gênes, le lendemain ils soutiennent l’occupation d’une église par des sans-papiers et, le jour suivant, distribuent des tracts sur le trottoir du boulevard de Sébastopol, devant un McDo en grève.
Cette solidarité explique l’étonnant succès de la grève d’une poignée de femmes de ménage employées par un sous-traitant du groupe hôtelier Accor. Le mouvement est parti de quelques mères de famille d’origine africaine, menées par Faty Mayan, une robuste Sénégalaise de 43 ans, ex-militante CFDT , ralliée à SUD (« La CFDT ne nous défendait pas », résume-t-elle)
Voir en ligne : L’Express
Notes
[1] Génération précaire, Le Cherche Midi, janvier 2004.