47 000 cheminots autrichiens en grève défient le chancelier Schüssel
vendredi 14 novembre 2003.
Touristes frustrés dans des halls de gare, embouteillages sur les autoroutes, une industrie sidérurgique bientôt contrainte d’éteindre ses hauts-fourneaux faute de matières premières : la « grève illimitée », lancée mercredi 12 novembre par les cheminots autrichiens pour protester contre la restructuration de la société nationale des chemins de fer, l’ÖBB, devient une épreuve de force majeure entre le gouvernement et les syndicats, dans un pays habitué à la concertation sociale. C’est la première fois depuis 1945 qu’une catégorie professionnelle aussi importante pour l’économie lance un mot d’ordre de grève illimitée.
Un million d’usagers et de nombreuses entreprises sont touchés par ce mouvement, décidé quelques heures après que le conseil des ministres du chancelier conservateur Wolfgang Schüssel eut approuvé une réforme controversée de l’ÖBB, qui doit être votée début décembre au Parlement et entrerait en vigueur le 1er janvier. En proportion du nombre d’habitants, l’Autriche figure en tête de tous les pays européens pour le trafic ferroviaire de marchandises, et l’ÖBB est, avec 47 000 salariés, sa plus grosse entreprise. Le gouvernement veut réduire son déficit chronique et son lourd endettement (10 milliards d’euros) - dû en partie au fait qu’elle doit comptabiliser elle-même ses nouveaux investissements - en la scindant en quatre sociétés- : transport des passagers, maintenance et gestion, fret, construction de nouvelles infrastructures, suivant un modèle déjà rodé en Allemagne ou en Suède.
MENACES DE LICENCIEMENTS
La coalition de droite entend aussi réduire les « privilèges » dont jouissent les cheminots. Même si, depuis le milieu des années 1990, les nouveaux embauchés ne sont plus considérés comme des fonctionnaires, c’est encore le cas de la majorité du personnel de l’ÖBB. « Dans une entreprise moderne, il n’est pas acceptable que, sur 47 000 employés, 40 000 ne soient pas licenciables », a déclaré le vice-chancelier et ministre des transports Hubert Gorbach, membre du FPÖ (droite populiste). Selon M. Haberzettl, 10 000 postes de travail pourraient être supprimés.
Cette offensive contre les prérogatives des Betriebsrãte, les élus des conseils d’entreprise, et surtout contre les conventions collectives, est un casus belli pour le mouvement syndical. « Si -le gouvernement- parvient à s’immiscer légalement dans les contrats de travail d’une entreprise, ce sera bientôt le tour d’autres catégories professionnelles », a expliqué au quotidien Kurier le chef du Syndicat national des employés, le socialiste Hans Sallmutter. Les employés de l’ÖBB, qui reçoivent le soutien discret des syndicats de fonctionnaires - un fief des conservateurs -, se présentent comme les défenseurs d’un service public menacé par les plans de libéralisation du gouvernement de droite.
Appuyés par la puissante confédération syndicale ÖGB, ainsi que par l’opposition social-démocrate et écologiste à la coalition de droite au pouvoir, les cheminots envisageaient de suspendre leur mouvement, vendredi 14 novembre, pour ne pas pénaliser les voyageurs qui rentrent chez eux en fin de semaine. Wilhelm Haberzettl, le chef du syndicat des cheminots - un bastion du Parti social-démocrate SPÖ -, a attendu, jusque tard dans la nuit de jeudi, que le gouvernement fasse un signe. Mais celui-ci n’acceptera de négocier qu’après l’arrêt de la grève. Les menaces de licenciement, proférées dès mercredi contre les grévistes par la direction de l’ÖBB, ont contribué à durcir les fronts, certains syndicalistes évoquant désormais une « grève générale », tandis que l’opposition proteste contre les « provocations » du camp gouvernemental.
Le projet est sévèrement critiqué par la Cour des comptes, qui doute que la future restructuration permette d’économiser 1 milliard d’euros par an comme prévu.
Voir en ligne : Le Monde