Les militants nouveaux sont arrivés : les créatifs culturels
mardi 28 octobre 2003.
Le scoop est énorme : aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, nous serions en train de vivre un profond changement de société, une transformation radicale de notre civilisation, sans en avoir conscience. A en croire L’émergence des Créatifs culturels, près de 50 millions d’Américains partagent des idées que l’on qualifie d’ordinaire d’“alternatives”. Voilà qui s’avère sacrément réconfortant. Voilà aussi qui permet de sortir du mythe, soigneusement entretenu par les militants professionnels, de l’éternelle minorité qui tente d’éveiller une majorité constituée d’abrutis avachis devant leurs télévisions…
Au terme d’une enquête de treize ans menée auprès de près de 100 000 personnes, l’équipe dirigée par le sociologue Paul H. Ray et la psychologue Sherry Ruth Anderson a identifié, au cœur de la société américaine, un courant culturel radicalement nouveau. Les chercheurs ont donné à cette population qui réprésenterait le quart environ des citoyens américains le nom de “Créatifs culturels”. Un drôle de concept, qui sonne sans doute mieux dans sa langue d’origine, mais qui dit bien ce qu’il désigne : les “Créatifs culturels” créent au jour le jour, par leur manière de vivre, de penser, d’agir, une nouvelle culture, qui concilie le souci de l’écologie, le développement personnel et spirituel, le recours à une alimentation et une médecine saine, et des valeurs de tolérance et de respect.
Un nouveau Gulf Stream
Loin d’être « un ensemble éparpillé et sans cohérence de cœurs sensibles, de bons samaritains et de “moi d’abord” », les Créatifs culturels sont, d’après les chercheurs, « la manifestation d’une lente convergence de mouvements et de courants jusqu’alors distincts vers une profonde modification de notre société » : « C’est un peu comme si une centaine de rivières d’Amérique du Nord se jetaient dans l’Océan Atlantique. Chauffées par le soleil, elles créent un nouveau Gulf Stream qui s’étend jusqu’en Europe. A la surface, ce courant est presque invisible, parce que, contrairement aux rivières, il n’a pas de berges, pas de limites tangibles. En plein cœur de l’océan, au sein de ce courant, se développent des formes de vies tout à fait nouvelles. Il nous semble que c’est à peu près ce qui se passe actuellement dans notre société » : différentes influences sont en train de converger et cette convergence est à l’origine d’un grand changement général. »
Le point de vue de Ray et d’Anderson est celui de chercheurs en sciences humaines - et ça change tout. Mettant délibérément de côté les soubresauts de l’actualité, les deux auteurs prennent de la hauteur. Leur démarche tranche volontairement avec la vision développée par les médias » : « Il n’est pas surprenant que la plupart des politiciens, historiens et commentateurs, notamment des médias, ne comprennent pas vraiment ce qui se passe. » En effet, ces témoins et acteurs ont l’œil collé à l’événement et n’accorde aucune attention à son contexte. Un exemple pris dans l’actualité récente illustre cette myopie » : le sommet de Johannesburg a montré combien les chefs d’Etat du monde ont une vision courte de l’avenir. Mais il ne reflète certainement pas la sensibilité des opinions publiques, beaucoup plus préoccupées que leurs mandataires par l’avenir de la planète. Or, les multitudes qui habitent cette terre ont plus de pouvoir que Georges Bush…
En raison de leur fonctionnement actuel, les médias ont les plus grandes peines du monde à adopter une approche transversale des problèmes. Ray et Anderson ont cette image amusante : « Comme Marlon Brando dans On the Waterfront (Sur les quais), les experts veulent savoir “qui sont les combattants du match ?” » Lorsqu’ils organisent un débat, les médias cherchent toujours à radicaliser les positions des uns et des autres pour mieux renvoyer dos à dos les points de vue. Englués dans une logique de confrontation, ils sont dès lors incapables de rendre compte de ceux qui sont force de proposition. Il y a fort à parier que, s’ils n’avaient jamais organisés de contre-sommets, les militants pour une autre mondialisation ne seraient jamais apparus sur nos écrans… D’ailleurs, quel média parle de ces militants et de leurs organisations en dehors des grands rendez-vous contestataires » ?
« L’émergence des Créatifs culturels, enquête sur les acteurs d’un changement de société »
Paul H. Ray, Sherry Ruth Anderson,
éditions Yves Michel, 2001 (publication aux Etats-Unis : 2000).
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