Air France fait mieux que « Bolkenstein » !
vendredi 27 mai 2005.
Après la révélation des pilotes lithuaniens remplaçant ceux d’Air Littoral sur la liaison Agen-Orly avec l’argent des contribuables(2.5 millions d’Euros), Eurocockpit (ex RadioCockpit) nous informe sur l’utilisation de salariés asiatiques non déclarés en tant que tel par Air France. L’aviation Civile française suit à vitesse supersonique la même évolution que la marine marchande française avec la régression des emplois qui a suivi !
Sur les vols vers la Corée, le Viêt-nam (2) et la Chine, Air France utilise depuis quelques années les services de jeunes femmes, employées comme interprètes. Comprenez qu’elles facilitent la tâche des Personnels Navigants Commerciaux (PNC ) quand ils ont du mal à se faire comprendre des passagers, et aident ces passagers à communiquer avec le personnel de bord quand cela est nécessaire.
Bien entendu, on n’ose imaginer que ces interprètes pourraient avoir un rôle quelconque dans le cadre de la mise en œuvre d’une procédure d’urgence à bord, puisqu’elles ne sont pas titulaires du Certificat de Sécurité Sauvetage, toujours obligatoire en France.
Ni PNC , ni Personnel Complémentaire de Bord (PCB), ces « employées » sont néanmoins considérées comme des « passagères », avec un siège réservé en cabine. Elles n’ont officiellement aucune fonction à bord. Elles effectuent pourtant un « circuit équipage » au départ comme à l’arrivée du vol, et assistent à l’intégralité du briefing PNC qui a lieu avant vol, comme tout le reste du personnel navigant commercial. Elles disposent d’un plateau repas « équipage », et voyagent en uniforme gris.
Des « passagères » qui sont invitées à ne pas regagner leur siège dès l’allumage des consignes « attachez vos ceintures », et pour cause : ce sont elles qui font parfois l’annonce au micro !
Nous avons cherché à en savoir un peu plus sur les conditions de travail de ces « passagères » dont personne ne parle, sauf dans quelques notes de services de la Direction Opérationnelle des secteurs concernés. Nous nous sommes également procuré des copies de « contrats » auprès de certaines d’entre elles qui ont quitté la compagnie.
Selon les informations que nous avons pu (difficilement) collecter, elles sont généralement titulaires d’un « contrat de droit local » (Corée, Chine ou Viêt-nam, selon le cas) et sont basées sur place. Elle sont payées au salaire local, qui est actuellement voisin de 300 euros par mois, sous réserve qu’aucun vol ne soit annulé ou qu’elles ne soient pas absentes pour cause de maladie, puisque dans ces deux cas, leur « salaire » (qui comprend une partie variable de 25 Yuans par heure de vol, soit 2,5 euros) est amputé d’autant.
Elles perçoivent presque les mêmes indemnités repas qu’un PNC AF (300 Yuans contre 370), ce qui augmente considérablement leurs revenus (en fait cela peut doubler leur revenu, qui atteint parfois un sommet de 500 euros par mois), sous réserve de ne pas utiliser ces indemnités repas pour... manger !
Dès leur embauche, les « passagères-interprètes » sont invitées à verser à leur « employeur chinois » une somme forfaitaire de 10.000 Yuans (1.000 euros, pas moins de 10 mois du salaire de base pour un Chinois). Une sorte de « caution » qu’elles perdent si elles décident de ne pas aller au terme de leur « contrat » de 2 ans. En revanche, Air France peut s’en débarrasser d’un simple claquement de doigts, sans préavis ni indemnité, cela va de soi.
On le voit, le « Principe du Pays d’Origine » est une valeur d’avenir, mise en place discrètement par le gouvernement français quand il dirige Air France, tout en jurant qu’il s’y oppose dans le débat européen. SMIC ? Sécurité sociale ? Retraite ? Complémentaire santé ? Autant de valeurs inconnues pour ces personnes qui sont pourtant placées sous l’autorité du commandant de bord d’un appareil ayant un pavillon français.
Et c’est là que le bât blesse.
Car les articles L.422 et L.423 du Code de l’aviation civile (CAC) (3) sont formels : à bord de tout avion immatriculé en France, et exploité en transport public de passagers, qui de surcroît se trouve en France soit au départ, soit à l’arrivée du vol, toute personne exerçant une fonction (quelle qu’elle soit) doit disposer d’un contrat de travail, qui doit être écrit (en français) et qui doit être conforme aux dispositions fixées par ledit CAC. Et bien entendu, il s’agit d’un contrat de travail de droit français, puisqu’à notre connaissance, le CAC n’a pas encore été modifié pour intégrer le droit chinois.
Récapitulons : ces personnes reçoivent un passeport et un visa Schengen sur invitation écrite de la compagnie Air France. Elles ont un uniforme, un badge, et un planning. Même si elles sont « passagères », elles ne payent pas leur billet. Leur présence et leurs fonctions à bord sont précisées dans quelques notes de services internes diffusées au moins auprès du PNT . Elles disposent de réservations hôtelières à leur arrivée à Roissy qui sont faites par Air France. Elles ont un accès aux GP compagnie (un avantage ridicule puisqu’avec leur « salaire », elles peuvent à peine payer les taxes d’aéroport !)...
Mais Air France va prétendre qu’elle ne les connaît pas, ou que ce ne sont que de simples passagères sans fonction à bord, puisqu’elles sont habilement salariées par une société chinoise créée (de toutes pièces) dans le seul but de délocaliser ces contrats.
Dans le seul but de payer des gens 300 euros par mois, alors qu’ils effectuent un travail réel à bord d’un avion arborant le drapeau français.
Malheureusement, pour que ces « passagères » puissent faire valoir quelque droit que ce soit, il faudrait qu’elles soient au courant que des droits existent. Un système qui arrange tout le monde et qui est basé sur le silence des intéressées, qui sont hélas bien contentes d’accéder à cet emploi... Voilà une belle illustration du problème posé par les délocalisations, qui s’appuient systématiquement sur un accord tacite organisant une convergence entre les intérêts de celui qui exploite et de celui qui est exploité, condition essentielle pour que perdure le système.
Nous ne savons pas quelle sera la réponse de la compagnie Air France à ce sujet délicat. Nous sommes tout simplement consternés par ces pratiques, et par le silence de l’ensemble des syndicats PNT et PNC , qui semblent parfaitement s’accommoder de ces économies dérisoires, surtout quand on les compare aux coûts potentiels en image de marque si l’affaire venait à s’ébruiter.
Nous nous contenterons de rappeler que le pavillon français se doit de rester – dans tous les cieux – le vecteur de toutes les valeurs de la France, une nation bâtie notamment sur des traditions sociales, et dont les citoyens ne se sont pas encore exprimés sur les projets libéraux du gouvernement qui lui permettrait de « constitutionnaliser » ces pratiques.
Voir en ligne : Eurocockpit.com