En bonne logique depuis l’entrée en vigueur de la loi contre le harcèlement moral au travail (HMT) de janvier 2002, l’association HMS devrait péricliter. C’est l’inverse qui se produit. Comme si le texte n’avait rien réglé, bien au contraire. Selon nombre d’experts (voir l’interview de MeJean-Luc Wabant, il n’a fait que complexifier la question, contribuer à l’encombrement des tribunaux et paradoxalement noyer la gravité et l’expansion continue du phénomène HMT sous une vague de plaintes de vrais-faux harcelés, de recours en justice fallacieux et de faux procès pour harcèlement donnant lieu à de vraies lourdes indemnisations financières. Il a traumatisé les directions d’entreprise, provoqué en retour la naissance de stratégies de management plus perverses encore et, du même coup, il a étouffé un peu plus la souffrance des véritables victimes.
« Ce qui me révolte dans l’histoire de ce cadre en BTP, s’emporte Loïc Scoarnec, c’est que sa femme n’a eu droit à rien. Parce qu’il s’est suicidé un peu à l’écart de son trajet domicile-travail. S’il avait mis fin à ses jours à son bureau ou sur cette route, la justice aurait admis l’accident du travail. C’est la loi. Mais là... rien ! »
Le nombre d’accidents du travail, en hausse sensible depuis dix ans, cache aux yeux de nombreux spécialistes des centaines de suicides liés au harcèlement. L’association HMS [1], qui procède pourtant à un tri sévère dans les affaires dont elle accepte de s’occuper, recense à elle seule plusieurs suicides au travail chaque semaine. Et depuis deux ou trois ans, elle note que la situation s’aggrave nettement. Lors des récentes Journées internationales de Prévention du Suicide tenues à Paris en février 2002, Christian Larose, le président de la section travail du Conseil économique et social, a présenté un rapport alarmant sur la hausse des suicides liés au travail. « Ce n’est pas un phénomène nouveau, a-t-il précisé. Mais il s’est accentué ces dernières années. Le désespoir des salariés victimes de restructurations, de licenciements et de harcèlement moral les pousse à des réactions brutales. »
Et même si toutes les victimes de harcèlement ne recourent pas à ces extrémités, heureusement, même si l’expression harcèlement moral est désormais employée à toutes les sauces, même si une flopée de juristes, de conseils, de thérapeutes ou de relaxologues de tout poil en ont fait un marché juteux, ce phénomène, identifié par le docteur Christophe Dejours (professeur au Cnam) en 1997 puis nommé par la sociologue Marie-France Hirigoyen en 1998, est loin de diminuer. Il a simplement changé de costume, devenant plus insidieux, plus caché et plus nocif. « Nous sommes un observatoire social à nous tout seuls, dit encore Loïc Scoarnec. Et je vous affirme que le harcèlement n’est pas en régression. Bien au contraire. »