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Pour une autre organisation du système de santé

7 a - La situation actuelle : un système qui reste inégalitaire

mardi 16 mars 2004, par SOLIDAIRES .


La dépense nationale de santé représente 148,5 milliards d’euros en 2001, soit 9,5 % des richesses nationales ou du PIB (Produit intérieur brut) contre 4,2% en 1960.

La France se situe au 5e rang mondial derrière les Etats Unis (13,9%), la Suisse (10,9%), l’Allemagne (10,7%), le Canada (9,7%) et devant la plupart des pays européens, tout en soulignant que les dépenses de santé progressent dans la plupart des pays développés.

La part des dépenses de santé financées par des fonds publics varie toutefois d’un pays à l’autre : 76% pour la France, 82% pour le Danemark et 45% pour les Etats Unis.

Il faut retenir également que l’importance du budget consacré aux dépenses de santé n’est pas un critère d’efficacité : les Etats Unis détiennent le record des dépenses de santé alors que 40 millions d’américains n’ont aucune couverture sociale.

Plusieurs facteurs ont contribué à l’évolution des dépenses de santé :

    • l’amélioration du niveau de vie et la quasi généralisation de la couverture maladie ;
    • le progrès des techniques médicales ;
    • l’allongement de l’espérance de vie ;
    • l’apparition de nouvelles pathologies ;
    • l’accroissement de l’offre de soins conjuguée au paiement à l’acte.
  • Des inégalités et des disparités de santé persistent

Ces dernières années d’importantes améliorations de l’état sanitaire de la population ont été enregistrées : diminution de la mortalité cardio-vasculaire, de la mortalité liée au sida avec la généralisation des trithérapies, baisse de la consommation d’alcool...Toutefois, des inégalités perdurent.

Dans son rapport « La santé en France 2002 », le Haut Comité de la Santé Publique (HCSP) souligne : « L’existence de fortes inégalités sociales de santé dans notre pays, alors même que les dépenses publiques de santé y sont parmi les plus élevées du monde, est une des composantes du paradoxe français ».
Parmi les inégalités dénoncées par le HCSP on peut citer :

    • la mortalité prématurée des ouvriers et employés qui est aujourd’hui près de 3 fois supérieure à celle des cadres supérieurs et professions libérales ;
    • l’espérance de vie à la naissance qui varie de plus de 10 ans entre les zones d’emplois du nord et du sud de la France ;
    • la différence d’espérance de vie à 35 ans entre un ouvrier et un cadre qui atteint 6,5ans ;
    • la mortalité prématurée avant l’âge de 65 ans est plus importante en France et au Portugal que dans les autres pays européens ;
    • l’écart d’espérance de vie entre les femmes et les hommes qui est de 7,5 ans.
  • L’accès aux soins reste inégalitaire en fonction des revenus :
    si la mise en place au 1er janvier 2000 de la couverture maladie universelle a permis à 4 ,5 millions de personnes ayant de faibles ressources d’accéder à une couverture santé de base et à une couverture complémentaire, il n’en demeure pas moins que pour des raisons financières, des personnes continuent à être exclues de l’accès à certains soins (voir la partie relative à la CMU).
  • De fortes disparités géographiques perdurent :
    avec 335 médecins pour 100 000 habitants, la France est dans la moyenne des pays européens mais il existe de très fortes disparités géographiques et de spécialités (comme pour l’ensemble de l’offre de soins) qui ne correspondent pas et loin s’en faut aux inégalités de l’état de santé des populations (voir annexe1).

Pour réduire les inégalités - entre catégories professionnelles, entre sexes et entre zones géographiques -, qui se mesurent en terme d’espérance de vie et d’accès aux soins, il faut agir sur leurs causes et développer les politiques nécessaires et indispensables au rétablissement de l’égalité et de la solidarité devant la maladie.

Or jusqu’à présent les gouvernements successifs ont cantonné leur action à une approche comptable en voulant à tout prix limiter l’évolution des dépenses d’assurance maladie, sans se préoccuper des dysfonctionnements d’ordre structurel qui menacent sérieusement le système.

 L’échec des politiques de maîtrise des dépenses de santé

  • " L’approche quantitative : régulation de la demande, encadrement des prix ...
    Pendant 20 ans et jusqu’en 1995, date de la réforme Juppé, les gouvernements qui se sont succédés ont imposé de multiples plans d’économies (déremboursements, augmentation du ticket modérateur, création du forfait hospitalier...) pour tenter de combler le fossé qui n’a cessé de se creuser entre recettes et dépenses. Tous se sont révélés inefficaces économiquement et injustes socialement.
    La régulation de la demande par une hausse du ticket modérateur laissé à la charge du patient a toujours été présentée comme un outil de responsabilisation des assurés, accusés d’avoir un comportement irresponsable en terme de « consommation » de soins, et donc de dépenser sans compter. Mais l’assuré est rarement en mesure d’apprécier a priori l’utilité et l’efficacité des prescriptions et des soins dispensés. Dans les faits, les dépenses ne sont décidées ni par le malade, ni par le financeur principal (la Sécurité Sociale), mais par le prescripteur (le praticien) qui en tire son revenu professionnel.
    La hausse du ticket modérateur pénalise surtout des ménages à faibles revenus qui se trouvent dans l’obligation de renoncer à certains soins en raison de leur coût (voir la partie relative à la CMU).
    Par ailleurs, l’encadrement des prix, que ce soit du médicament ou des soins ambulatoires, n’a pas eu d’effet conséquent sur la maîtrise des prescriptions ; il a été annulé par une augmentation des volumes.
  1. La réforme Juppé
    Avec la réforme mise en place à partir de 1996 par le gouvernement Juppé, on assiste à un changement de logique ; une approche plus globale, davantage centrée sur les pratiques médicales, est privilégiée.
    • La mise en place d’enveloppes globales : chaque année le parlement adopte une loi de financement de la Sécurité sociale qui définit le niveau des dépenses et notamment l’ONDAM (objectif national d’évolution des dépenses d’assurance maladie, objectif qui a toujours été dépassé depuis 1998), réparti ensuite par grandes catégories de dépenses (hôpitaux, soins de ville....).
      Au nom de ce cadrage budgétaire intervenant en amont des dépenses, des sanctions financières, en cas de dépassement des enveloppes fixées, étaient envisagées pour les médecins, mais ces dispositifs ont été annulés par le Conseil d’Etat au motif qu’ils remettaient en cause la liberté de prescrire du médecin.
    • La responsabilisation des professionnels de santé par la diffusion de « bonnes pratiques médicales » ; cette orientation a commencé à s’appliquer avec la mise en place en 1993 de références médicales opposables (RMO), référentiels visant à éviter les actes ou prescriptions inutiles ; elle s’est poursuivie par la mise en œuvre des « accords de bon usage des soins » (Acbus) inscrits dans la LFSS 2000 et d’abord réservés aux médecins généralistes et aux spécialistes.
      Les Pouvoirs publics et la Cnam ont abandonné les dispositifs de sanctions et ont privilégié l’intéressement des médecins à une politique de réduction des dépenses. Les Acbus prévoient de rémunérer financièrement le respect des accords bâtis autour de référentiels et protocoles validés par la communauté scientifique.
      Au lieu de sanctionner financièrement ceux qui dépassent les enveloppes budgétaires, on gratifie ceux qui respectent les cadrages établis.
      La loi du 6 mars 2002 a étendu ces accords à toutes les professions conventionnées et a prévu de reverser aux professionnels de santé une partie des dépenses de santé évitées par ces comportements « vertueux » sous forme d’une rémunération au forfait.
      En contrepartie de ces incitations financières, des dispositifs de contrôle et de vérification des pratiques doivent être prévus sinon il existe un risque de dérive et de contournement de l’esprit initial du texte.
  2. Nouveau changement de cap avec le gouvernement Raffarin en 2002

    Pour le ministre de la santé, Jean-François Mattéi, il ne faut plus « faire porter aux soignants la responsabilité principale pour ne pas dire unique des déficits de la sécurité sociale ». Une de ses premières décisions sera d’ailleurs d’augmenter la consultation des médecins généralistes qui passera à 20 euros (la visite passera à 30 euros).
    Pour le gouvernement actuel, il ne s’agit plus de faire baisser les dépenses de santé, mais, au nom de la « responsabilisation des patients », d’augmenter la part couverte par les complémentaires. Au nom de cette logique, il a décidé de dérembourser un certain nombre de médicaments, et d’augmenter le forfait hospitalier....en attendant la réforme annoncée pour 2004.
    Au final, sept ans après la réforme Juppé, on peut affirmer que les progrès en matière de coordination et d’échanges d’informations restent largement insuffisants et que la maîtrise des dépenses est un échec. Les professionnels de santé en sont, pour partie, responsables : ils se sont opposés aux mécanismes de régulation (même si, sur les aspects purement comptables, ils avaient raison), globalement perçus comme une remise en cause de l’augmentation de leurs revenus.
    Quant aux Pouvoirs publics et à la Caisse nationale d’assurance maladie, ils ont montré leur incapacité à réorganiser le système de santé et à le rendre plus efficace.

 Quelle régulation des dépenses de santé ?

L’augmentation des dépenses de santé n’est ni condamnable ni critiquable en soi, si elle répond à de véritables besoins et si elle contribue à améliorer l’état de santé de la population et à réduire les inégalités. En revanche, si elle sert à satisfaire les intérêts financiers de professionnels et d’industriels, il y a problème. Or chacun sait que notre système de santé a des faiblesses, voire des défauts structurels, et la surmortalité des personnes âgées pendant l’été 2003 l’a illustré de façon dramatique.
Aussi faut-il analyser de façon objective les raisons de la forte progression des dépenses de santé et le mode d’utilisation des ressources que la collectivité consacre au système de santé et ne pas se focaliser uniquement sur le déficit (voir fiche sur les raisons du déficit) comme entend le faire le gouvernement.

Les dépenses peuvent être régulées selon 3 méthodes : la régulation budgétaire, la régulation libérale ou celle reposant sur une approche des besoins.

  • L’encadrement budgétaire à priori conduit à fixer annuellement une enveloppe sans tenir compte des besoins réels et sans analyser la consommation médicale. A terme, une telle politique amène au rationnement aveugle des soins par la limitation de l’argent public avec des conséquences directes et importantes sur la santé de la population. La maîtrise comptable est absurde car elle laisse perdurer, malgré tout, les gaspillages pour certains, tout en créant la pénurie pour d’autres.
  • Dépenser sans compter c’est admettre une libre consommation des soins et une totale liberté de prescription sans aucune limite, ni aucun contrôle, comme n’importe quel autre bien ou marchandise. C’est donc assimiler la santé à un marché comme les autres.
    Mais si les financements collectifs sont insuffisants pour prendre en charge des dépenses (qui continueront à augmenter), des choix politiques risquent d’intervenir : baisse de la prise en charge obligatoire avec un report sur les ménages (au nom de la responsabilisation) et la mise en place (possible) d’un filet de « sécurité » pour les plus démunis. C’est la thèse des libéraux ; elle est particulièrement dangereuse : elle conduit à exclure par l’argent de plus en plus de personnes du système, y compris celles disposant aujourd’hui de revenus moyens.
  • Dépenser ce qui est nécessaire, c’est essayer de tenir compte des besoins réels (qu’il faudra évaluer préalablement et au fur et à mesure de leur évolution) et affecter ensuite les ressources en fonction du critère d’utilité médicale appliqué en permanence à l’ensemble de la consommation médicale.
    Il s’agit là d’une régulation médicalisée et non marchande qui repose sur la notion de soins ou de biens utiles. C’est la voie qu’il faut emprunter, pour rebâtir un système de protection sociale solidaire et efficace.

Partir de l’analyse des besoins et de la consommation médicale permettra également d’améliorer la qualité des soins tout en ayant une croissance des dépenses de santé correspondant aux besoins sanitaires.

La réduction des inégalités exige d’assurer un haut niveau de prise en charge collective des dépenses. Or cette prise en charge ne pourra être maintenue, ni à fortiori améliorée, si l’évolution des dépenses reste entre les mains d’acteurs privés fixant librement le nombre et le prix de leurs actes et refusant tout contrôle ou toute évaluation de leurs pratiques.

Au delà du déficit de l’assurance maladie (aussi important soit-il), et de nos propositions pour garantir un financement solidaire, il faut analyser l’organisation du système de soins (plus particulièrement le secteur de la médecine de ville) et s’assurer que l’évolution des dépenses va dans le sens d’une amélioration de la santé de la population.

P.-S.


Annexe 1 : Quelques données chiffrées sur les médecins

En un siècle, le nombre de médecins est passé de 16 000 à 196 000. La part des spécialistes est passée de 43% en 1984 à 51% en 2001. Actuellement 60% des médecins exercent en secteur libéral, 40% sont salariés (dont 29% à l’hôpital).

La forte progression du nombre de médecins, au cours des 30 dernières années, a conduit les différents gouvernements à considérer cette situation comme excédentaire (des dispositifs de reconversion ou de cessation anticipée avaient d’ailleurs été mis en place en 1988 et en 1996 puis supprimés en 2003) ; aujourd’hui de nombreux rapports annoncent une pénurie de praticiens d’ici 2020 (une hausse du nombre d’étudiants vient d’ailleurs d’être décidée).

Le système reste marqué par la persistance de fortes disparités géographiques et de spécialités : la densité médicale pour 100 000 habitants varie de 241 en Picardie à 424 en Ile de France ; par ailleurs il faut signaler des différences par rapport au mode d’exercice : les hôpitaux manquent d’anesthésistes et de psychiatres contrairement au secteur libéral.

Certains médecins sont autorisés à dépasser les tarifs de Sécurité sociale : il s’agit des médecins appartenant au secteur 2. Ce secteur dit à honoraires libres, a été créé en 1980 mais il est gelé depuis 1990 : 38% des 55 300 spécialistes libéraux sont en secteur 2.

Les médecins du secteur 2 se situent principalement en région Ile de France et dans les Alpes Maritimes, ce qui renvoie au problème de l’égalité d’accès aux soins.
Le poids des dépassements est d’ailleurs de plus en plus important dans l’évolution des recettes des praticiens.

D’après les études de la Dress (Direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques), les honoraires des médecins ont augmenté de 4,9 % en 2002.
Cette augmentation provient des relevés tarifaires (les tarifs conventionnés ont ainsi augmenté de 12% pour les omnipraticiens), de la révision et de la création de nombreuses majorations, et de la hausse de 20% des dépassements.

Les autres modes de rémunération des médecins à l’étranger (éléments tirés du rapport du Haut conseil de l’Assurance maladie) : la capitation est un mode de rémunération particulier qui existe notamment au Danemark, au Royaume uni, aux USA, et aux Pays-Bas : pour chaque personne inscrite auprès de lui et pour une période donnée le médecin perçoit un forfait.

Aux Pays-Bas, le forfait tient compte d’un revenu de référence, fixé en fonction du niveau de qualification, des coûts de la pratique (déplacement, téléphone, assistant...) et de la charge de travail moyenne (nombre de patients).
Aux USA, la majeure partie des assureurs privés payent les groupes de médecins sous forme de capitations, de plus en plus souvent associées à des paiements à la performance financière ou sanitaire !!! Ce système induit un évident risque de sélection.

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