L’informatique sera-t-elle 1’outil de la réussite du rapprochement des deux compagnies, ou sa victime au travers d’éventuelles réductions d’effectifs ?
Le flou demeure dix jours après les fiançailles. Comme d’ailleurs sur l’ensemble des perspectives de l’opération, les deux directions ayant choisi pour le moment de déminer le terrain politique - faire passer la privatisation d’Air France d’un côté, ménager les susceptibilités autour de la prise de contrôle d’un symbole national de l’autre. Résultat, un silence radio des futurs acteurs de de l’informatique, interdits de s’exprimer dans la presse par crainte notamment des reproches des autorités boursières.
II y a pourtant beaucoup à dire. Les deux informatiques de KLM et d’Air France ont suivi des voies différentes depuis une trentaine d’années, sur le plan de l’organisation et des choix techniques, même si les services rendus aux compagnies sont finalement les mêmes, avec plusieurs centaines d’applicatifs en place, avec notamment la gestion comptable et financière, la gestion des escales, la gestion commerciale (avec les programmes de fidélisation), celle des programmes de vol et celle du remplissage des avions (avec le yield management), ou encore la maintenance et la gestion des personnels (au sol ou navigants).
La DGSI , l’informatique d’Air France
Air France compte aujourd’hui 1700 informaticiens, répartis sur trois sites en France, à savoir Massy-Palaiseau (le cœur historique), Valbonne (gestion du fret, yield management et comptabilité SAP) et Toulouse (ex-Air Inter, régulation des vols du jour et programme de fidélité). Son informatique, récompensée en 2001 par le Grand Prix Le Monde Informatique des Trophées « Entreprises et Société de l’information » , a su évoluer vers Internet, tout en absorbant, à partir de 1997, une première fusion avec Air Inter.
KLM Systems services et l’informatique de KLM
De son côté, KLM comptait 1.750 informaticiens début 2001 avant une profonde réorganisation qui doit en réduire le nombre d’un tiers. Comme Air France, la compagnie est cliente de SAP - après avoir flirté avec Baan, avec lequel elle même créé momentanément une coentreprise. Elle a aussi développé la plupart de ses applicatifs, qu’elle commercialise à travers sa filiale KLM Systems Services. Sur le plan technique, de nombreux systèmes cohabitent, parmi lesquels des matériels IBM. Les projets de rénovation du site central ont été stoppés fin 2001 même si un accord fin 2002 avec Accenture - promet la refonte des intranets. Enfin, contrairement à Air France, KLM adhère au système de réservation Galileo, concurrent d’Amadeus.
Surtout, l’entreprise, d’une culture anglo-saxonne qui la prépare davantage à l’aventure de l’externalisation, mais aussi en proie depuis plusieurs années à des difficultés économiques, a cédé depuis longtemps aux sirènes de l’infogérance. Les premiers contrats ont été signés en 2001 avec IBM, pour l’activité de fret KLM Cargo et pour la bureautique. Au printemps 2003, toute la gestion des ateliers a basculé chez Fujitsu Services.
Deux univers différents donc, mais pas inconciliables, comme l’explique Didier Bréchemier, consultant chez Syntegra (voir interview), qui rappelle que les fusions sont courantes dans le monde du transport aérien et que l’informatique ne les a jamais empêchées, au contraire.
Reste à savoir quelle stratégie de rapprochement vont suivre les directions des deux compagnies, quelle implication elle aura sur la stratégie informatique, et quels choix en découleront pour les systèmes d’information qui, en pareil cas sont souvent comparés en détail, afin de retenir le meilleur à chaque poste.Il est probable que tous les consultants spécialistes du transport aérien rêvent de se voir associer à ces passionnantes réflexions.
Un départ bizarrement programmé
Et l’on comprend d’autant moins pourquoi Jean-Paul Hamon, le DSI d’Air France souvent présenté comme le gourou informatique de Jean-Cyril Spinetta à la tête d’Air France ait choisi ce moment, au jour près, pour partir. « Mon départ vers Amadeus n’a rien à voir avec le projet Air France-KLM, assure pourtant l’intéressé. Il s’agit d’un choix personnel et prévu depuis longtemps, qui me permet de passer à, autre chose, après des années passionnantes passées chez Air France, tout en restant dans le monde de l’aérien ». Il n’empêche : les informaticiens de la compagnie française n’ont appris ce départ qu’il y a une dizaine de jours, quasiment en même temps que le mariage avec KLM. Et même si la nomination d’Edouard Odier, l’ancien adjoint de Jean-Paul Hamon à la tête de la DSIT,promet une certaine continuité, une prise de pouvoir dans une telle zone de turbulences n’a rien d’une sinécure.
A moins de risquer une autre lecture de l’événement. Ainsi que le note Didier Bréchemier,’ « l’intérêt des compagnies aériennes est de promouvoir l’usage de leurs applications informatiques par le plus grand nombre de sociétés. Et aujourd’hui, la place des alliances, qu’il s’agisse de réservations, comme avec Amadeus deus, ou de politiques commerciales et de mutualisation de lignes, comme avec Sky Team, devient prépondérante sur une scène qui est de toute façon appelée a se recomposer, avec moins d’acteurs au final ».
L’accord d’externalisation et de support entre Amadeus et IBM en (voir ci-contre), qui doit déboucher sur l’élaboration d’une offre d’applicatifs bien au-delà de la seule vente de billets, confirme le potentiel de tels groupements. Y compris pour élargir les options applicatives et d’organisation offertes aux directions informatiques de deux compagnies en fusion.
FRANÇOIS JEANNE (AVEC MARC HUSQUIKET, DATANEWS, BELGIQUE)
LE MONDE INFORMATIQUE du 10 octobre 2003 • N° 997