Lire le texte intégral du rapport dont voici la conclusion :
CONCLUSION
Compte tenu des handicaps accumulés par AOM-Air Liberté, le succès d’un repreneur après le dépôt de bilan de la société supposait une équipe compétente dans le domaine très particulier de la gestion d’une compagnie aérienne, disposant de capitaux importants et capable d’imposer des réformes sociales et de structures considérables.
Or, force est de constater que l’équipe rassemblée par Jean-Charles Corbet ne disposait d’aucun de ces atouts. La capacité managériale apparaissait dès le départ plutôt limitée, la caution apportée par d’anciens cadres d’Air France, parfois retraités, ne faisant guère illusion. Les capitaux apportés par les anciens actionnaires ne suffisaient pas à couvrir l’ensemble des besoins pour assurer la survie et le développement de la compagnie aérienne. Enfin, l’équipe dirigeante d’Air Lib a eu la malchance de reprendre la société au moment même où l’ensemble du transport aérien devait faire face aux conséquences des attentats du 11 septembre 2001.
Quoi qu’il en soit, l’offre de reprise de Jean-Charles Corbet a été choisie par le tribunal de commerce de Créteil, même si ce dernier avait déjà relevé nombre de faiblesses dans le projet présenté. Il est permis de penser que le tribunal a fait preuve d’une certaine légèreté dans le choix de Jean-Charles Corbet et de regretter que le suivi de l’exécution du plan de reprise n’ait pas pu être effectué avec rigueur. A l’évidence, cette décision soulageait bien des acteurs du dossier, qu’il s’agisse du gouvernement, et plus particulièrement du ministère des transports, voyant s’éloigner pour un temps au moins la menace d’un dépôt de bilan douloureux, ou d’Air France, dont le rôle dans l’élaboration du projet de reprise apparaît plus qu’ambigu.
Quelles qu’aient pu être les inquiétudes manifestées sur la viabilité du projet de reprise, il faut souligner que les premiers actes de gestion d’Holco, dans les semaines suivant la décision du tribunal de commerce de Créteil, ont consisté dans l’octroi de rémunérations à l’équipe de reprise, sous la forme de rémunérations ou d’honoraires substantiels pour les nouveaux dirigeants et les divers prestataires de services. Les montants en cause et la rapidité de leur versement jettent un doute sur les motivations de tous ceux qui avaient été membres de l’équipe de reprise.
Face à la crise du transport aérien et à la défaillance de Swissair, les insuffisances de la gestion de l’entreprise n’ont été que plus évidentes. Dès l’automne 2001, l’avenir de la compagnie apparaissait irrémédiablement compromis. Toutefois, Jean-Charles Corbet a refusé de déposer le bilan, entraînant par là même le départ des éléments les plus expérimentés de la direction d’Air Lib.
Dès lors, c’est l’Etat qui a été en permanence appelé au secours de l’entreprise, sans que la gestion de l’entreprise témoigne d’une véritable volonté de s’attaquer aux problèmes de structures et alors que sa politique commerciale agressive aboutissait à une dégradation de ses comptes.
L’aide de l’Etat a tout d’abord pris deux formes. D’une part, Air Lib a cessé dès novembre 2001 de payer la part patronale des charges sociales, puis a étendu ses défauts de paiement à l’ensemble des créanciers publics à partir du premier trimestre 2002. D’autre part, en janvier 2002, un prêt du FDES de 30,5 millions d’euros a été accordé à la compagnie dans des conditions manquant de sérieux. Le gouvernement de l’époque a pris le risque de s’engager dans un soutien abusif en acceptant que l’Etat devienne le banquier d’une entreprise dont la situation apparaissait irrémédiablement compromise, engagement dont il était difficile de se libérer par la suite.
De fait, le rôle de banquier ainsi imparti à l’Etat n’allait pas être remis en cause immédiatement, le nouveau gouvernement décidant en juillet 2002 de prolonger le prêt du FDES et d’organiser un moratoire, officiel cette fois, sur les charges publiques.
Le délai de quatre mois ainsi consenti devait être mis à profit par Air Lib pour élaborer un plan de restructuration. Or, la compagnie n’a pas respecté ses engagements de reprise des paiements et a fourni des plans de restructuration irréalistes, incompatibles avec le droit communautaire et demandant à l’Etat d’apporter encore davantage de deniers publics.
Alors que le sort de la compagnie apparaissait scellé, l’arrivée d’un repreneur sinon potentiel du moins affiché, le groupe néerlandais IMCA, a conduit à différer encore une fois le dépôt de bilan. L’Etat est allé au bout de la logique de sauvegarde de l’emploi, mais l’absence de sérieux d’IMCA a mis un terme à un feuilleton se concluant par le licenciement de 3 400 salariés et des dettes publiques à hauteur de 130 millions d’euros, selon toute probabilité définitivement perdus.
Ainsi, alors qu’ils ont accumulé un passif financier de 130 millions d’euros, auquel devraient s’ajouter environ 100 millions d’euros au titre des indemnités de licenciement et des mesures de reclassement des salariés, M. Jean-Charles Corbet et l’équipe dont il s’est entouré se sont fortement enrichis dans des conditions auxquelles la justice pourrait s’intéresser.
Peut-on en rester à ce constat et se limiter à une simple condamnation morale ? Quelles pourraient être les suites judiciaires des travaux de la commission d’enquête ?
La commission d’enquête n’a pu obtenir de réponses à un certain nombre de questions, notamment parce que M. Jean-Charles Corbet lui a opposé le secret des affaires. Elle ne dispose pas de moyens similaires à ceux d’un juge d’instruction, ni, naturellement, du pouvoir de donner des instructions au Parquet.
Néanmoins, il importe que la commission d’enquête aille jusqu’à l’extrême limite de ses pouvoirs.
Aussi, le Président et le Rapporteur de la commission d’enquête se proposent-ils de faire usage de l’article 40 du code de procédure pénale qui dispose en son second alinéa : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »
Parmi les faits dont la commission d’enquête a eu connaissance, le versement de certaines primes, notamment la prime d’arrivée de M. Jean-Charles Corbet, pourrait être constitutif d’abus de bien social et relever de cet article.
Par ailleurs, sur le plan civil, il appartient au procureur de la République d’examiner certains éléments du dossier. Plusieurs pistes peuvent être envisagées : M. Jean-Charles Corbet pourrait être appelé en comblement de passif, le tribunal de commerce pourrait décider d’étendre la liquidation judiciaire d’Air Lib à d’autres filiales d’Holco encore en activité au vu des travaux des organes de la procédure collective et, enfin, le tribunal pourrait ouvrir une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de tout dirigeant contre lequel peut être relevé notamment le fait suivant : « avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale » en application de l’article L. 624-5 du code de commerce relatif à la mise personnelle en redressement et liquidation judiciaires.
Afin de contribuer à cette analyse, le Président de la commission d’enquête transmettra le rapport de la commission au procureur de la République.