Des solutions existent, dès à présent, mais la plupart présentent la particularité de faire appel, dans des proportions variables, à la Bourse. Ce qui, après la débâcle boursière, pourrait inquiéter les futurs retraités ; trois années de chute ininterrompue des marchés sont venues mettre en cause beaucoup de certitudes. La suprématie du placement en actions à été remise en question, même sur le très long terme. Sur trente ans, les obligations ont rapporté plus que les actions, a révélé le calcul d’un économiste de la Caisse des dépôts et consignations (« Le Monde Argent » daté dimanche 30-lundi 31 mars). Les systèmes de retraite qui avaient largement fait appel aux investissements boursiers sont entrés dans de fortes zones de turbulences.
Au-delà des cas spectaculaires - comme ceux des employés d’Enron ou de Worldcom aux Etats-Unis, qui, avec la faillite de leur entreprise, ont vu fondre leur future retraite -, la crise a révélé la fragilité des systèmes de retraite basés sur la Bourse. Beaucoup de sociétés américaines constatent que les plans d’épargne-retraite de leurs salariés ont accusé des pertes en 2001 et en 2002. Au moment de l’envolée des marchés, elles n’avaient pas jugé utile d’abonder ces plans, la hausse des actions augmentant leur valeur. Aujourd’hui, elles sont dans l’obligation de le faire, ce qui risque d’obérer leurs résultats pendant plusieurs années, au risque de freiner la reprise de la Bourse !
GROUPES « SOUS SURVEILLANCE »
Ces cas ne sont pas seulement américains : en février, l’agence Standard & Poor’s jetait un pavé dans la mare en annonçant qu’elle avait noté « sous surveillance avec perspective négative » dix groupes européens. Elle jugeait que la baisse des actions de ces sociétés pouvait avoir créé des déficits importants pour leurs fonds de retraite. La France, même si elle ne connaît pas de systèmes de retraite privés équivalant à ceux qui existent à l’étranger, n’était pas oubliée. Parmi les sociétés visées par Standard & Poor’s figuraient le groupe sidérurgique Arcelor (né de la fusion du français Usinor, de l’espagnol Aceralia et du luxembourgeois Arbed) et Michelin.
Plus généralement, beaucoup de Français subissent les effets de la chute de la Bourse sur leur épargne. D’autres sociétés françaises auraient sans doute pu être visées par Standard & Poor’s, si elles avaient eu la possibilité de créer des fonds de retraite. Déjà, les salariés de France Télécom, Vivendi Universal ou Alcatel, pour ne citer qu’eux, ont vu les effets dévastateurs d’une crise boursière sur les sommes investies dans leur plan d’épargne entreprise, destiné pourtant à constituer un pécule pour le long terme. Les sociétés de plus petite taille sont elles aussi concernées.
Le législateur français a permis, au cours des années, la mise en place par les entreprises de dispositifs destinés à procurer un complément de retraite, comme ceux définis parles articles 39 ou 83 du code général des impôts. Les sommes collectées par ce biais doivent permettre dans le futur de payer les compléments de retraite. En attendant, les cotisations sont placées sur les marchés financiers. Pour que ces mécanismes fonctionnent correctement, les spécialistes estiment que les revenus des placements doivent procurer en moyenne un rendement supérieur à l’inflation plus 3 points, soit plus de 5,5 % actuellement. Depuis le début de la décennie, peu d’actifs financiers ont procuré une telle rémunération.
Mais l’effort en matière d’épargne devra être important. Le Monde a demandé au cabinet Hewitt de calculer la somme qu’il serait nécessaire d’économiser en fonction de son âge et du taux de rendement des placements pour obtenir 150 euros de rente mensuelle. S’il faut, pour toucher un revenu à partir de 60 ans, épargner chaque mois environ 50 euros à l’âge de 25 ans, cette cotisation monte à 150 euros à 45 ans et à 500 euros à 55 ans ! Ces résultats sont valables si les rendements des placements sont de 4 % pendant la durée de l’épargne, une moyenne qui est d’autant plus facile à atteindre que la période d’épargne est longue.
Les experts font preuve de prudence quant aux placements à privilégier pour les sommes destinées à payer des retraites futures. Une chose est certaine : ils font de moins en moins confiance à la Bourse.
VERS LES « HEDGE FUNDS »
Les grands fonds de réserve qui existent à travers le monde placent aujourd’hui au maximum 60 % de leurs actifs en actions, même si leur horizon d’investissement est lointain. Calpers, premier fonds de pension public américain, a même ramené le niveau des actions dans son actif à 59 % fin 2002, contre 64 % fin 2001. En 1992, elle était de 45 %.
Reste à savoir où placer l’argent des retraites. Les obligations rapportent peu. Si l’inflation venait à redémarrer, leurs rendements pourraient devenir négatifs, comme se fut le cas dans les années 1970 et 1980. La solution viendra peut-être des marchés financiers. A l’instar de Calpers, les responsables de caisses de retraite s’intéressent de plus en plus aux hedge funds, ces fonds spéculatifs, pourtant accusés de participer à la volatilité des Bourses. Sur le long terme, les meilleurs offrent des rendements satisfaisants et stables.
Joël Morio
LE MONDE ARGENT du 21 avril 2003