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Nouvel Observateur N° 1927 - 11/10/2001

La nouvelle carte du ciel européen

vendredi 12 octobre 2001.


La spectaculaire faillite de Swissair a provoqué une onde de choc dans tout le transport aérien. Les plus faibles jouent leur survie, les plus vaillants déploient leurs ailes.

Pauvres Helvètes ! Une semaine après avoir vu les avions de leur compagnie nationale cloués au sol faute de cash pour payer le kérosène, ils ne se sont pas relevés de l’outrage... « Vous n’imaginez pas le drame que cela représente pour tout le pays », témoigne Alice, hôtesse chez Swissair depuis vingt ans. Bien sûr, depuis les déboires d’AOM et de la Sabena, elle savait bien que tout n’était pas rose. Mais à ce point ! « Je suis arrivée mardi matin, persuadée de travailler pour une compagnie mythique, de renom international. Un à un, tous les vols étaient annulés, on ne savait pas pourquoi. Deux heures plus tard, dans une pagaille monstre, on apprenait notre faillite. Je n’arrive pas encore à y croire ! » Quand les riches maigrissent, les pauvres meurent. Au moment où toutes les compagnies aériennes sont dans la tourmente, les Suisses, abasourdis, ont découvert que leur fleuron national, avec sa croix blanche peinte sur le cockpit et ses lingots en chocolat distribués aux voyageurs, était en fait... pauvre parmi les pauvres. « Le coffre-fort volant », comme on surnommait Swissair il y a dix ans encore, était vide. « L’affaire Swissair, c’est le Crédit lyonnais du transport aérien », analyse Stéphane Daillencourt, un des financiers du secteur. Même cause, mêmes effets. Comme la banque au lion, Swissair, compagnie moyenne, a payé le prix de sa folie des grandeurs : depuis deux ans, elle avait gobé tous les canards boiteux du secteur, alors que le cœur même du groupe, la compagnie aérienne helvétique, plombé par des coûts trop élevés, donnait déjà des signes de faiblesse. Ces acquisitions hasardeuses ont fini par la saigner à blanc... Ecrasé par la concurrence des hubs ­ ces plates-formes d’échanges aéroportuaires, qui sont aujourd’hui la pierre angulaire de cette industrie ­ de Roissy, de Francfort, de Munich et de Milan, l’aéroport de Zurich ne faisait pas le poids. Le choc du 11 septembre lui a été fatal. Un couteau dans le dos, le gouvernement suisse a finalement décidé d’injecter 450 millions de francs suisses (environ 304 millions d’euros) pour permettre à la compagnie, lâchée par les banques, de tenir jusqu’au 28 octobre... Mais l’avenir est sombre. Le transporteur régional Crossair parviendra-t-il à absorber les deux tiers de l’activité de Swissair, comme le prévoit le schéma mis en place par les banques ? Comment les statuts des personnels vont-ils se marier ? Les seigneurs de Swissair, beaucoup mieux payés, accepteront-ils d’être ramenés au niveau des gagne-petit de Crossair ? Les experts sont pessimistes : « Les fusions de compagnies sont extrêmement difficiles à mettre en œuvre. Il faut harmoniser les flottes, la maintenance, le management et, surtout, les statuts du personnel. Les problèmes sociaux sont quasi insolubles », explique Stéphane Daillencourt. Comme jadis celle du Lyonnais, l’affaire Swissair, désormais entre les mains des tribunaux, tourne à l’interminable feuilleton judiciaire. Mais, au-delà du cas suisse, c’est une nouvelle carte du ciel européen qui est en train de se dessiner. Alors que les Américains ont décidé d’injecter 15 milliards de dollars pour soutenir le secteur, la commissaire européenne chargée des Transports, Loyola de Palacio, semble au contraire vouloir profiter de cette crise pour mener une opération vérité. Bruxelles aidera les transporteurs à supporter les surcoûts, mais ne soutiendra pas les compagnies en difficulté. « Ces aides ne doivent absolument pas servir à couvrir les besoins financiers des compagnies aériennes dans une situation critique avant les attentats », a prévenu le commissaire européen à la Concurrence Mario Monti. Suivez son regard. Bien affaibli avant les attentats du 11 septembre, le secteur ne manque pas de malades. Dans l’oeil du cyclone, les filiales de Swissair, comme la compagnie belge Sabena ou encore Air Lib. La première, qui s’est mise sous protection judiciaire du tribunal de commerce pour échapper à la liquidation, cherche désespérément un repreneur. La seconde, à qui Swissair devait encore 250 millions de francs, semble plus mal partie (voir encadré). Au moment où les financiers fuient le secteur aérien comme la peste, leur avenir semble compromis. Mais ces compagnies gravement malades ne sont pas les seules en danger... Alitalia, qui encaisse 20% de baisse d’activité et s’apprête à supprimer 34 de ses lignes, est au plus mal. La compagnie irlandaise Aer Lingus, qui dépend étroitement du marché nord-américain, et même la néerlandaise KLM, considérée il n’y a pas si longtemps comme l’un des fleurons du secteur, ne vont guère mieux. « Cette crise agit comme un révélateur qui va précipiter la restructuration du secteur », diagnostique Stéphane Daillencourt. D’après ce financier, « c’est la fin des compagnies nationales porte-drapeaux. L’avenir est aux grandes alliances d’un côté, aux compagnies à bas coût, comme Ryanair ou EasyJet, de l’autre ». Une aubaine pour Air France, leader de SkyTeam, qui affronte la crise au mieux de sa forme, et pourrait bénéficier des routes abandonnées par son partenaire nord-américain Delta Airlines. De son côté, la Lufthansa, dont le hub de Francfort est à 150 kilomètres de Zurich, s’apprête à ramasser toutes les miettes laissées par Swissair. Ces deux géants-là se sont d’ailleurs prononcés contre l’octroi d’aides publiques, qui viendraient fausser la concurrence. Un peu facile lorsqu’on en a bénéficié en son temps plus que de raison ! NATACHA TATU ntatu nouvelobs.com

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